9 # Et la thèse ?
L’entrée en thèse a été quelque peu retardée par un énorme projet… Une collection critique sur la littérature jeunesse ! Je vous en avais déjà parlé dans le deuxième numéro de cette newsletter, mais ça y est, les textes ont été écrits, ils seront bientôt prêts pour l’impression - la date du BAT est début décembre.
Vous pouvez dès à présent noter la date : les premiers titres de la collection J’aimerais t’y voir sortiront le 22/02/2024 !
Je ne manquerai pas de vous tenir informée-es, mais n’hésitez pas à vous inscrire à la newsletter de la maison d’édition de la collection On ne compte pas pour du beurre.
(et oui, oui je vais m’inscrire en thèse promis je m’y mets tout de suite)
En librairie
Thomas Gabison & Clémence Paldacci, Le Terrible Grand Méchant Enfant, Actes Sud jeunesse.
Dans cet album les rôles sont renversés, le petit loup a peur du Terrible Grand Méchant Enfant, et pour causes, il a entendu toutes les histoires… Pour le rassurer, son papa lui lit une histoire. A l’intérieur de celle-ci, le Grand Méchant Enfant fait peur à toustes les habitant-es de la forêt, mais, heureusement, le petit loup découpe l’enfant, en deux, en quatre, jusqu’à ce qu’il soit tout petit. Et là, il s’avère tout à fait sympathique.
Il ne s’agit pas d’un personnage d’enfant méchant mais d’un renversement permettant un apprentissage : les méchants ne sont pas si méchants.
Marek Vadas & Daniela Olejnikova, Martha la terrible, Thierry Magnier.
Ici ce sont les animaux de la ferme qui ont peur de l’arrivée de Martha, une seule solution : lui faire peur pour ne plus jamais être maltraité-es. Mission réussie, Martha apprend sa leçon, plus jamais elle ne se montrera cruelle.
Annelise Heurtier & Camille Carreau, La barrette, Talents Hauts.
Petit Singe trouve une barrette et cherche sa propriétaire. Il montre la barrette à toutes les femelles, mais aucune n’en aurait l’utilité (trop petite, trop grande, etc.) Finalement il va voir Monsieur Lion, le roi qui sait tout et… qui a sa crinière dans les yeux. Cet album pour les tout-petits vient remettre en question une idée reçue : les objets “féminins” ne pourraient appartenir qu’à des personnes féminines.
Alicia Acosta, Luis Amavisca & Gusti, Vive mes ongles de toutes les couleurs, bayard jeunesse.
Jean met du vernis à ongles parce que ça lui plaît, mais à l’école on lui dit que c’est pour les filles, qu’il en est une, alors il arrête d’en mettre. Mais, tous les jours, quand il vient le chercher, son papa en met. Et, pour son anniversaire, toute la classe arrive avec les ongles vernis, même la maîtresse ! On a même amené pleins de vernis pour qu’il puisse, lui aussi, avoir les ongles de toutes les couleurs.
Pour une fois, on nous montre un récit d’harcèlement où l’enfant n’a pas eu à lui-même prendre en charge les violences subies. Bien qu’il montre des violences sexistes, il montre aussi comment il est possible de les résoudre, par la prise en charge des adultes (parents, maîtresse).
Alain Grousset & Alexandre Juza, Princesse pue-des-pieds, Auzou.
Katherine Quénot & Miss Prickly, Les princesses aussi puent des pieds, Glénat.
Après sa Majesté des prouts1, nous avons deux princesses qui puent des pieds cette rentrée. D’abord, Kate, qui a tout d’une princesse, elle est belle, intelligente, avec des manières gracieuses, mais qui est triste. Triste parce qu’on lui donne des surnoms en raison de l’odeur de ses pieds. Sauf que Kate n’est pas que belle et intelligente, elle est aussi très courageuse. Quand le château est assiégé elle part pour la bagarre, telle une superbe amazone à une seule chaussure, c’est par l’astuce qu’elle réussit à sauver son royaume et épouser son prince. Ils vécurent heureux, mais auront-ils le temps d’avoir des enfants ? C’est en agissant pas comme une princesse traditionnel, et grâce à sa différence, sa puanteur, qu’elle obtient ce qu’elle veut.
La princesse de Glénat, elle, apprend simplement avec ses camarades princes et princesses que tout le monde pue à sa façon et qu’il faut être gentil-le avec les autres.
Denis Baronnet & Gaëtan Dorémus, Rosalinde et le prince somnambule, Actes Sud jeunesse.
Une dernière princesse ! Rosalinde est la princesse du peuple des journois, qui dorment la nuit, contrairement aux nuitins, qui vivent la nuit. Elle n’en avait jamais rencontrés, jusqu’à tomber sur le prince des nuitins lui-même, en pleine crise de somnambulisme. Elle lui fait visiter son royaume, le laisse dans sa chambre pendant qu’elle va à l’école, le retrouve enfermé à son retour, le délivre, le raccompagne, visite le royaume des nuitins, jusqu’à entendre que quelqu’un se trouverait aux portes des nuitins ! C’est sa maman, la reine des journois, persuadée qu’elle aurait été enlevée. Rosalinde la rassure, tout le monde est invité au bal des nuitins, tout est bien qui finit bien, le peuple inconnu est en réalité gentil.
A noter, la royauté des journois, la reine et la princesse, sont noires, alors que le peuple est majoritairement blanc. On pourrait dire, pourquoi pas, après tout les nuitins ne sont même pas humain-es. Dans La Chronique des Bridgerton par exemple, l’existence de nobles non blanc-hes est expliquée, le roi serait tombé amoureux d’une femme noire et l’ensemble du Royaume-Uni aurait jeté le système de hiérarchie raciale existant sans jamais y revenir. Dans Hamilton, la comédie musicale sur Alexander Hamilton, personnage historique très blanc, le casting non blanc relève de ce qu’on appelle le cross-casting. Des personnages blancs sont joués par des personnes non blanches. Dans ce album, nous avons un royaume avec une royauté non blanche et un peuple blanc, sans que ça soit expliqué. Peut-être qu’il n’existe pas de hiérarchie raciale ? Ou peut-être qu’il existe une hiérarchie raciale, mais qu’elle n’est pas similaire à la nôtre ? Puisque rien n’est dit, tout est envisageable.
Lucy Menzies & Maddy Vian (trad.), Un nouvel ami, Glénat.
Première en France, un album avec une femme voilée sur la couverture !
Le livre est divisé en deux, à droite le récit du point de vue de Sacha, qui fait sa rentrée dans une nouvelle école, à gauche le point de vue de Joséphine, qui a hâte d’être sa copine ! Comme pour Mira à l’école2, c’est le personnage enfantin non blanc qui accepte le personnage blanc et l’intègre au groupe classe. Personnage enfantin non blanc qu’on montre dans l’intimité de sa maison, on voit d’ailleurs sa mère sans son voile.
Bérengère Mariller-Gobber, Dans ma ville, Cépages.
Dans cet album, un petit garçon non blanc nous dit que sa ville est toute blanche, sauf le dimanche. S’en suit une présentation des habitant-es, certaines activités relèvent de cultures non blanches (Hortense cuisine un colombo épicé), pour le reste tout le monde vaque à ses occupations…
J’ai fini par comprendre que si la ville prend des couleurs ce n’est pas parce qu’elle arrête d’être aussi blanche (le petit garçon et ses parents sont les seuls personnages non blancs), ou parce que les personnes blanches se risqueraient à cuisiner épicé, mais parce que les voisin-nes mettent des lampions dans la rue pour éclairer la fête.
Personne dans le processus éditorial n’a fait le lien entre la blanchité du quartier et l’affirmation du garçon, sa ville est toute blanche sans le dimanche.
Tom Vaillant, Le lendemain, Thierry Magnier.
Dans Entrer en pédagogie antiraciste, Karim Bettayeb et Houyem Rebai mentionne la difficulté de trouver des personnes non blanches pour illustrer des métiers. Le lendemain s’ouvre sur une climatologue noire. Tous les jours elle mesure la température extérieure et la note dans son précieux carnet. Un soir, une fissure apparaît sur le mur de son refuge. Elle s’aventura dehors et disparut.
Un petit garçon noir (son fils ? un descendant plus éloigné ?) se réveille, rien n’indique qu’il aurait perdu quelqu’un.
Pour le reste je vous invite à lire l’album qui est dédié à Matthew Henson, explorateur orphelin ayant atteint le pôle Nord le 6 avril 1909 aux côtés de Robert Pearty, Ooqueah, Ootah, Egingwah et Seegloo, et leurs chiens de traîneau. Cette formulation n’est pas anodine, Henson était le bras droit de Pearty, il était le bras droit d’un homme blanc. Bien qu’il soit arrivé en premier, on a remis en question cet accomplissement, parce qu’il s’agissait de l’expédition de Pearty et qu’Henson n’aurait été qu’un porteur, voire même parce qu’on a considéré qu’un homme noir n’aurait jamais pu supporter ces températures.
Il s’agit d’un album avec un personnage non blanc non culturellement marqué dans un contexte étranger. Rien dans le texte ne dépend du fait que la climatologue et l’enfant soient non blanc-hes. Par ailleurs, le fait qu’iels soient non blanc-hes donne du sens à l’album.
Alors qu’on disait d’Henson qu’il ne pourrait supporter ces températures, on représente un enfant noir qui n’a connu que ces températures polaires.
“chaleur”. Le mot lui parut familier, sans pour autant qu’il sache l’expliquer.
Madhvi Ramani & Anuska Allepuz, A tue-tête, Mango.
Un personnage enfantin non blanc proclame “je suis moi”, suivie par un ensemble de personnages, dont un handicapé.
Kat Patrick & Hayley Wells, L'anniversaire de Frankie, Talents Hauts.
C’est bientôt l’anniversaire de Frankie et elle ne sait pas quoi mettre, rien ne lui convient. Dans ses plus beaux rêves elle aimerait porter un costume magnifique… sa famille (sa mère, son frère et sa sœur), trouve le dessin de ce magnifique costume et le fabrique pour elle.
Une représentation toute douce de l’euphorie de genre des personnes queers.
Pauline Delabroy-Allard & Cati Baur, Aller bon train, Thierry Magnier.
J’ai acheté cet album à la recherche d’indices de lesbianisme mais j’ai surtout trouvé des indices de blanchité.
L’Abécédaire à l’intention des petits et grands voyageurs que la petite fille emmène pour son voyage envahit l’album. Sur la même double page nous avons le récit du voyage de la petite fille en haut et l’abécédaire en bas.
Dans son aventure dans le train, la petite fille blanche rencontre une amie, une petite fille non blanche. Sur leur chemin, elle tombe sur une malle. Une malle magique, c’est sûr, pense la petite fille, dont l’imagination s’emballe. Une malle certainement pleine de marchandises exotiques merveilleuses, de magnifiques étoffes et d’épices mirifiques.
Plus loin : N comme… nomade. Se dit de quelqu’un qui est partout chez soi. Selon sa couleur de peau, vouloir être partout chez soi, ou même quelque part chez soi, n’est pas du tout considéré, appelé de la même façon. Pour être nomade il faut être blanc-he.
Et pour finir : W comme… western. Dans les films, c’est souvent dans les trains que se passent les moments les plus importants. Les scènes d’amour, les révélations et, dans les westerns, les bagarres. Derrière les bagarres des westerns se cachent un génocide.
Bon, c’est blanc, mais est-ce lesbien ? L’album est écrit par une autrice lesbienne, il y a beaucoup d’arcs-en-ciel… mais rien d’explicite. La maman est seule avec sa fille, on comprend qu’elles vivent de grands changements, peut-être le coming out lesbien de la maman, peut-être une séparation des parents sans coming out, mais rien n’est dit, tout est laissé à l’imagination.
Corinne Dreyfuss, Ensemble(s), Thierry Magnier.
Il est possible de lire Aller bon train comme un récit lesbien, il est possible de faire d’Ensemble(s) un récit lesbien ! Composé de 16 pièces de puzzle illustrées des deux côtés, chacune représentant soit un papa, soit une maman, soit un bébé, soit un animal, il est possible de composer toutes sortes de familles. Sur les 12 bébés, 8 papas et 10 mamans nous avons 18 personnes blanches, 8 personnes non blanches et 4 personnes colorisée en gris (fatigue ? métissage ?). Sur les 30 personnages humains, un est en fauteuil roulant.
Il se passe quoi ?
On commence le mois par les 4e Assises de la littérature jeunesse. On ne parlera pas de cancel culture cette année, le programme se focalise sur la circulation des textes et leurs traductions.
Où m’écouter ?
Le 23 novembre je serai à Liège avec Laura Nsafou pour une conférence sur la diversité en littérature jeunesse organisée par Ilo citoyen, outilthèque vivante.
Deux ans après la table ronde de l’enfer sur la cancel culture, Laura et moi aurons l’occasion d’être invitée à discuter ensemble pour la première fois ! ( ♥ )
On lit quoi ?
Après Décolonialité & Privilège, Domestiquées, Survivre au taf, Avortée, Utopies féministes sur nos écrans, Amours silenciées et Eloge des fins heureuses (tous à rattraper), le dernier des éditions daronnes : Décoder Disney-Pixar. Désenchanter et réenchanter l’imaginaire de Célia Sauvage.


En septembre, anamosa sortait son mot est faible sur la classe. Celui sur la laïcité est sorti début octobre !
Alors que la collection Sorcières a été inaugurée par la traduction d’un texte de bell hooks, Ne suis-je pas une femme ?, ce sont d’autres maisons qui ont continué le travail de traduction et de transmission des textes de bell hooks. Les éditions divergences vont publier leur 4e traduction de bell hooks au mois de novembre, leur 4e texte en trois ans à peine.
8 ans après la traduction de Ne suis-je pas une femme ?, Sorcières nous offre Cultiver l’appartenance traduit par Noémie Grunenwald et préfacer par Fania Noël.


L’antiracisme va occuper les tables des librairies en octobre, la collection Nouveaux jours nous offre son 4e titre : Décolonisons-nous de Frank Lao (créateur du compte Instagram @Décolonisonsnous).
Sur l’internet
Rattrapages de rentrée : le numéro 217 de la revue française de pédagogie sur « Le “métier d’enfant” » 50 ans après : penser l’éducation et la socialisation avec Jean-Claude Chamboredon, le numéro 14 de la revue Poli sur la classe sociale et le numéro 16 sur les appropriations contemporaines des Feminist Cultural Studies.
Vous me l’avez demandé
Ne me demandez plus rien avant 2024, merci ♥
Levina Van Teunenbroek & Charlotte Bruijn, Sa majesté des prouts, Fleurus. Voir la newsletter “#7 Feminist Killjoy”.
Stina Klintberg & David Henson, Mira à l’école des grands, Cambourakis. Voir la newsletter “#8 C'est, de nouveau, la rentrée scolaire !”