#7 Feminist Killjoy
Ce mois de juin était prévu comme fatiguant mais lumineux, queer… il a été épuisant.
Il a commencé par des violences racistes, violences que j’ai subies mais aussi violences vécues par d’autres que j’ai dû prendre en charge.
Puis un enterrement.
Puis la mort de Nahel à Nanterre.
Un jour j’écrirai quelque chose sur ce que vivent les personnes racisées quotidiennement, la violence dans la chaire, permanente.
Pour aujourd’hui je vous laisse avec les dernières actualités autour de mes sujets de recherche, en vous souhaitant de prendre bien soin de vous, des vôtres et des absent-es, celleux qu’on a perdu-es mais aussi celleux qu’on oublie trop facilement.
En librairie
Mari Kanstad Johnsen & Frode Grytten, Un dernier livre et au lit ! Cambourakis.
C’est l'heure du coucher, mais la petite fille aimerait une histoire… sauf qu’aucun livre n’est sur elle. Elle se met donc à inventer sa propre histoire.
C’est son papa qui accompagne l’imagination de la petite fille. Au fur et à mesure de ses idées il la compare à Raiponce (qui a des longs cheveux), Fifi (qui a des tresses) ou à Matilda (qui fait voler des objets). Des héroïnes jeunesse qui ont pour trait commun d’avoir défié, ou de s’être passé, de l’autorité parentale.
Le fait que ça soit un papa qui s’occupe du coucher est un non-sujet.
Levina Van Teunenbroek & Charlotte Bruijn, Sa majesté des prouts, Fleurus.
Au pas des pets qui puent, la princesse est la seule de tout le royaume à faire des pets qui sentent la fleur. La solution ? Manger de façon plus consistante, dévorer les légumes verts, comme ses camarades.
Un album pour célébrer le bon fonctionnement de son corps, qui mérite de pouvoir péter.
Pija Lindenbaum, Jonquerettes et Pâquilles, Cambourakis.
Chez les Jonquerettes et les Pâquilles, chacun sa maison, chacun ses tâches, certains s’amusent pendant que d’autres font les corvées. La Cheffe, qui leur interdit de dépasser la ligne entourant la propriété aime l’injustice.
Cette distinction entre Jonquerettes et Pâquilles, ne se fait sur base d’aucun signe apparent, ni critères quelconques, elle n’est pas expliquée à l’intérieur de l’album. C’est comme ça et c’est tout. Depuis quand ? Pourquoi ces enfants sont là ? On ne sait pas. Quand les Jonquerettes et les Pâquilles commencent à échanger de places, pour voir, la Cheffe ne le remarque même pas. Il ne semble pas il y avoir de différences entre les enfants en dehors du rôle assignée.
A la fin, les enfants partent vivre de façon libre.
On pourrait lire cet album comme une critique de l’hétéronormativité : on impose des rôles complémentaires à des individus, alors qu’en dehors du territoire de la Cheffe, tout est possible.
Ce qui me gêne quelque peu, c’est que l’hétéronormativité ne repose pas sur une “Cheffe” imposant une hiérarchisation genrée. L’hétéropatriarcat est un système auquel nous participons toustes, enfants compris. Il ne s’agit pas d’une injustice imposée par une ou des personnes qui tirent du plaisir à imposer un système injuste. Tout réassigne les individus à des rôles genrées, pas simplement une seule personne dont serait la mission consciente et personnelle.
Loïc Clément & Clément Lefèvre, Billy - le bon, les brutes et l’héroïne, Little Urban.
Il existe beaucoup d’albums sur Calamity Jane, beaucoup1. Celui-ci est du point de vue de Billy (le bon), qui est sauvé des brutes grâce au courage de Jane, sa sauveuse. Tout au long de l’album Billy est terrorisé pendant que Jane rit des brutes et arrive à faire justice, sauver un poney maltraité, par la ruse.
Retournement de situation, le poney est une fille ! L’album se finit sur :
J’avoue que celle-là, je ne l’avais pas vue venir…
D’toute façon, c’est pas un problème. Notre bande est mixte !
Les filles, ça assure sérieusement ! Et Jane, la calamité des bandits, c’est sûr, elle mérite d’être la cheffe de notre bande ! Faudra que je le dise aux copains. Et s’il y en a un qui me répond qu’une fille ça peut pas, il aura affaire à moi.
Quelle bande ? On la voit à aucun moment ! Et depuis quand Jane a besoin d’être protégée ou défendue ? Elle a passé tout le récit à sauver tout le monde et à prouver, par ses actions, qu’elle assure plus que tout le monde, adultes compris.
J’étais prête à dire qu’on nous montrait un personnage féminin fort sans que ça soit montré comme une exception, quelque chose d’extraordinaire, mais c’est raté.
Par ailleurs, on pourrait aussi défendre le droit d’avoir des personnages féminins riches ET non extraordinaires, banals, moyens, médiocres. Des albums depuis le point de vue de petites filles qui font des concours de sieste par exemple. On ne devrait pas avoir besoin de sauver la ville pour que nos histoires soient racontées.
Rachel Katstaller, Graine de skatteuse, Kimane.
Céleste adore faire du skate, elle s’en sort très bien, jusqu’à la grosse chute. Grâce à deux ami-es elle finit par comprendre que c’est ok de faire des chutes, tant qu’on se relève et qu’on rééssaye, parce que la seule façon de ne pas faire de chutes c’est de rien essayer.
C’est une petite fille non blanche non culturellement marqué.
A la toute fin de l’album, on voit l’autrice illustratrice serrer dans ses bras la petite fille de l’album, la petite fille qu’elle était, pour qui elle a fait cet album.
Unt' Margaria & Alice Dussutour, Les colliers, Talents Hauts.
Alma reçoit des colliers de tous les humains de sa vie, et avec, leurs attentes. Qui elle devrait être, quelles qualités elles devraient avoir, comment elle devrait se comporter…jusqu’à ce qu’elle n’en puisse plus.
Alma est une petite fille noire, cet album aurait pu aborder de nombreux sujets liés à ce qui est transmis par les ainé-es quand on est issu-e de l’immigration, mais rien dans ce qui lui est transmis, ni dans la matérialité des colliers, ni dans ce qui est transmis avec, n’est culturellement marqué.
Nahid Kazemi, Shahrzad, Saltimbanque.
Dans cette réécriture des contes des Mille et une nuits, Shahrzad est une petite fille, qui imagine s’envoler pour convertir un tyran en roi bon et clément.
A noter, Shahrzad a les cheveux très crépus, elle s’appelle Shahrzad, on sait donc qu’elle est non blanche. Pourtant, elle n’est pas colorisée, sa peau est du couleur du papier.
Alexandra Page & Stef Murphy, Mehdi et le tigre des inquiétudes, Kimane.
Un album sur l’anxiété, avec des conseils pratiques sur comment (bien) vivre avec, avec pour personnage principal un personnage enfantin non blanc non culturellement marqué.
Antoine Geniaut & Célina Guiné, Pyjama Sagrada, Six citrons acides.
Maria, petite fille noire non culturellement marquée, s’imagine sur les toits de la Sagrada Familia au lieu d’aller (enfin) se coucher. C’est son papa qui la rappelle à l’ordre, sans que ça soit un sujet.
Où m’écouter ?
Les rencontres au Monte-en-l’air et à Folies d’Encre Lilas n’ont pas été enregistrées, mais vous pouvez retrouver toutes les discussions du Mois des fiertés d’On ne compte pas pour du beurre sur leur compte Instagram.
On lit quoi ?
Pour celleux qui lisent l’anglais, The Feminist Killjoy Handbook de Sara Ahmed, pour se sentir moins seul-e et prendre de la force.


Pour les francophones qui veulent comprendre ce que ça veut dire “Intersectionnalité”, Kimberlé Crenshaw a été traduite.
Sur le carnet
Nicolas Baudoin a publié sa lecture du livre de Christian Bruel, L’aventure politique du livre jeunesse, sur son blog, lecture qui lui a fait penser à mes travaux, merci à lui :
Ce livre, truffé de descriptions précises et épinglant les mécanismes sociaux représentés dans les histoires (que ce soit l’anti-communisme ou le machisme), m’a fait penser aux travaux de Sarah Ghelam. Cette chercheuse (et libraire, éditrice, formatrice, militante) tient depuis décembre 2020 une newsletter s’adressant « aux professionnel-les du livre et de la petite enfance souhaitant veiller aux représentations qu’iels mettent à disposition des enfants avec qui iels travaillent. »
Son objectif est très clair : mettre en lumière des œuvres destinées à la jeunesse qui représentent des groupes ou des personnes habituellement sous-représentées dans ces publications. Sans surprise, ce sont les mêmes qui sont marginalisées dans la société : les non-blanches, celles dont l’orientation sexuelle et/ou l’identité de genre ne correspond pas à la norme… pour ne citer que les cas les plus étudiés par Sarah Ghelam.
Ce simple coup de projecteur lui vaut d’être mal reçue dans certains milieux. Accusée de prosélytisme, elle y répond de manière claire, ferme sans être agressive, dans son carnet de recherche: https://genreed.hypotheses.org/3770. Je serais très curieux d’entendre une conversation entre Bruel et Ghelam sur le (més)usage des stéréotypes dans la littérature jeunesse.
Sur l’internet
A chaque newsletter il y a un ou plusieurs albums avec une série d’enfants dont un non blanc. Pourquoi je relève cet effet catalogue ? Parce qu’il s’agit d’un moyen facile pour une maison d’édition de diversifier son catalogue sans pour autant publier des récits avec des personnages enfantins non blancs. Laura Nsafou nous en parle sur son blog : “Une Diversité sous couverture(s) : une autre forme de tokenisme en littérature jeunesse”. A retrouver également sur son blog : l’interview des réalisateurices de “Neptune Frost”, Saul Williams et Anisia Uzeyman.
Je vous annonçais la sortie de l’essai de Pierre Niedergang aux éditions blast dans la newsletter de mai. Vous pouvez lire ce qu’il a à dire sur son Vers la normativité queer dans Diacritik et dans Manifesto 21. J’en profite pour vous signaler que les éditions Blast ont besoin de soutien pour arriver à publier les livres à paraître. Les commissions refusent de soutenir la publication de littératures queers, pour qu’elles puissent persister, faites un don !
Sur Manifesto 21, Fania Noël a publié les trois premiers billets de sa chronique “des amis qui vous veulent du bien” : NOTE DE BAS DE PAGE , LE DÎNER et L’ENTERREMENT.
Anne-Fleur Multon a lancé sa newsletter pour partager tous ses textes trop politiques pour l’édition traditionnelle, pour le premier numéro elle nous parle du parcours PMA, et pour le deuxième, des fêtes lesbiennes.
Et si jamais vous avez du mal à sortir de la couette, vous pouvez lire la tribune de Kiyémis sur l’art (politique) de la joie ou rattraper les derniers épisodes de son émission “Rends la joie”.
Fred L. Le meilleur cow-boy de l’Ouest, Talents Hauts, 2008.
Jean Gourounas, Jenny la cow-boy, l’atelier du poisson soluble, 2013.
Grégoire Kocjan & Lisbeth Renardy, Le dernier cow-boy, l’atelier du poisson soluble, 2017.
Jeanne Willis & Tony Ross, Je veux être une cow-girl, Gallimard Jeunesse, 2018.
François Roca, Calamity Jane, Albin Michel jeunesse, 2018.
Marie-Ève de Grave & Victoria Dorche, Calamity Jeanne, hélium, 2019.