#19 - la rentrée (littéraire)
(…)
No history book said how
to prepare for the long war
no class taught to pitch a tent
on the side of the road
no math teacher said that the corner
fits ten people
no religion class revealed :
children also die
also rise
as a butterfly, a bird, a star.
(…)
My throat is swollen
from words
without remedy
but bayt: this line, home.
“When the war parts” by Heba Al-Agha, translated by Julia Choucair Vizoso.
https://arablit.org/2024/04/29/when-the-war-parts-a-poem-from-gaza-by-heba-al-agha/
En librairie
Émilie Chazerand & Diglee, Lady Papa, la ville brûle
Dans son guide sur les albums antisexistes, Priscille Croce présente Roule, Ginette ! comme un des rares albums où le système sexiste est mis en péril. Dans la même collection de livres jeunesse, “Pas trop tôt”, on trouve deux albums avec des personnages LGBTQI+ : Autant de familles que d’étoiles dans le ciel (j’en parlais dans le numéro 13) et Sous les paupières (j’en parle dans notre guide sur les personnages LGBTQI+). Il s’agit, pour le premier album, d’un panorama de familles assez classique, qui a le malheur de partir de la norme (la famille hétéroparentale) puis de mettre sur le même plan les familles homoparentales et les familles de métier. Pour le deuxième, il s’agit d’un album ayant un contexte merveilleux. Rien de mal en soi, mais cet album participe à la surreprésentation de lesbiennes merveilleuses (princesses, sorcières, poules et fées1) et à la quasi absence d’enfants amoureuses dans des contextes réalistes (il en existe deux2).
Qu’en est-il de Lady Papa ?
On repassera pour la banalisation, le sujet de l’album est l’homosexualité du papa. Est-ce une mauvaise chose en soi ? Non. Mais, comme pour les lesbiennes qui ne peuvent qu’être merveilleuses, les familles homoparentales ne sont que des sujets, des leçons de vivre ensemble3. Cela dit deux choses du secteur éditorial jeunesse français dans son ensemble : qu’il ne considère pas qu’il serait possible pour un enfant de lire un album avec Lady Papa sans que Lady Papa lui soit expliqué et qu’il ne considère pas les enfants ayant des Lady Papa comme de potentiel-les lecteurices. Que cela soit explicitement voulu, ou non, ces enfants se retrouvent dans l’impossibilité d'accéder à des albums où leurs familles existeraient simplement.
Dans cet album, on montre Lady Papa à travers les yeux de l’enfant, des rituels à la maison, du quotidien… on aurait pu s’arrêter là. Mais il y a l’homophobie des camarades de classe. Homophobie prise en charge par l’enfant seul, sans aucun accompagnement des adultes. Homophobie qui disparaît magiquement grâce à un goûter d’anniversaire.
Ce n’est donc pas non plus un bon support de médiation : aucun enfant ne devrait gérer seul des propos discriminatoires et un goûter pour apprendre aux autres à nous accepter n’est pas forcément la meilleure solution. Pourquoi ? Parce que cela revient à placer l’enfant ayant tenu des propos homophobes dans une position de pouvoir : il lui appartiendrait le choix, la possibilité, d’accepter l’autre, donc aussi de ne pas l’accepter4.
Jenny Jordahl, trad. Aude Pasquier, Anémone et Sylvia, Talents hauts.
Je vous parlais des lesbiennes merveilleuses, en voici de nouvelles ! Comme pour Mes deux mamans, album ayant pour sujet la lesboparentalité, il s’agit d’une traduction. On trouve également chez Talents Hauts : Le fils des géants (famille gayparentale banalisée dans un contexte merveilleux), Un jour mon prince viendra (personnage gay dans un contexte merveilleux), Petit pas (diversité de modèles familiaux dont la lesboparentalité) et L’anniversaire de Frankie5 (personnage d’enfant queer). L’anniversaire de Frankie étant lui aussi une traduction, on arrive à un taux de traduction de 50% pour les albums ayant au moins un personnage LGBTQI+ chez Talents Hauts. Pour référence, on est à 25% de traductions sur l’ensemble des albums ayant un ou plusieurs personnages LGBTQI+ sur la période étudiée dans notre guide (1956-2023)6.
Nous avons donc une sirène et une elfe, chacune est censée trouver l’amour mais n’y parvient pas. Leur entourage leur propose alors de quitter le foyer pour trouver l’amour ailleurs (sortir du village c’est envisageable, de l’hétérosexualité pas du tout) ! Elles se trouvent, tombent amoureuses, explorent le foyer de l’autre, tout est bien qui finit bien. Leur amour mixte et lesbien est très bien accueilli par leurs familles respectives.
Nous avons donc un amour lesbien heureux dans un cadre merveilleux où l’hétéronormativité disparaît grâce à un seul amour - un peu comme le racisme chez Bridgerton7.
Julien Castanié, On se déguise, Talents Hauts.
Dernier bébé de la collection Badaboum : On se déguise. A chaque page, on nous donne un prénom et trois objets, à nous de deviner le déguisement. Les filles se déguisent en chevalier, super héros et pompier, les garçons en sorcière et en dame et les deux personnages non genrés en lion et en fantôme. On a deux personnages non blancs dont un en situation de handicap visible (on voit son fauteuil).
Mathilde Domecq, Dans ma musette, Glénat Jeunesse.
L’amitié, la première histoire d’amour des enfants. Qu’est-ce qui distingue une histoire d’amour d’une histoire d’amitié ? Pas grand-chose, finalement...
Nous avons ici une relation très forte entre deux petites filles, relation mise à mal par une séparation forcée : un déménagement. Mais rien ne pourra les séparer, elles s’envoient des “petite(s) boîte(s) pleine(s) d’amour” à distance.
Je me suis aventurée à écrire une sous-partie “lesbiennes ?” dans le guide sur les personnages LGBTQI+. On y est. Une relation très forte entre deux personnages féminins qui sort, de fait, de l’hétéronormativité, sans pour autant être explicitement lesbienne. Nous avons, aussi, des signes LGBTQI+ signalant une potentielle non hétérosexualité aux lecteurices : les deux petites filles sont représentées assises, côte à côte, sur un arc-en-ciel.
On peut y lire une relation amicale enfantine, on peut aussi y lire le récit d’un premier amour enfantin lesbien empêché, cela dépendra de la position de la personne lectrice et de son référentiel.
Françoise Johnen & Elodie Flavenot, Le jour du papillon blanc, La cabane bleue.
Il s’agit du récit d’un départ précipité, après une inondation. Le contexte, la maison laissée et la maison trouvée, est complètement merveilleux. Les personnages sont non blancs. L’album peut permettre d’aborder la question des parcours migratoires, notamment ceux dus au réchauffement climatique, sans participer à la surreprésentation de certains contextes géographiques comme étant des pays en crise.
Julie Douine & Noémie Favart, Il y a aussi une T.rex, mais ce n’est pas le sujet, Versant Sud.
Quand Bachir se promène avec sa fille dans la cité des coquelicots, il a un drôle de jeu. Il parle des endroits où iels passent, mais d’une drôle de façon : “il y a 503 ans, une famille de loup se repose dans la bruyère”. Edith, sa fille, se prend au jeu, et dit : “Juste là, dans 111 ans, il y aura un grand cèdre”. Pour Edith, Bachir va braver les interdits et planter un cèdre. Au fil des années, grâce à l’engagement d’Edith, la cité devient une ville-forêt magique.
Il s’agit d’un album sur le rapport au vivant et à l’espace, sur l’agentivité des petites filles et sur ce qu’on laisse derrière nous.
Point intéressant : on voit un homme non blanc partager à sa fille l’Histoire française (on parle de T-rex, mais aussi de loup et de druidesse). On s’éloigne des clichés liés aux banlieues et aux hommes maghrébins : communautarisme, haine de l’Occident, non prise en charge des enfants, etc. Point moins intéressant : les rapports sociaux de race sont complètement effacés. On nous dit quand même à la fin que les humains “de toutes origines” vivent dans la ville-forêt magique en toute harmonie, mais sans montrer que ça n’était, à priori, pas le cas avant.
On rêve la ville parfaite à partir d’une enfant magrhébine à qui on donne le rôle de créatrice du nouveau monde, tout en effaçant complètement son vécu propre dans l’ancien.
Zeshan Akhter & Åsa Gilland (trad.), Mon prénom est un cadeau, Kimane.
Tout en douceur, une enfant dit pourquoi il est important de bien prononcer les noms des gens. Elle dit tout l’amour, l’histoire, la culture qu’il porte. Un bon outil pour permettre à tous les enfants de partager leur prénom (il y a une fiche à la fin de l’album !) tout en faisant un peu de sensibilisation sur les prénoms inhabituels.
Chimamanda Ngozi Adichie & Leire Salaberria, traduit par Catherine Gibert, À ce soir, maman !, Gallimard jeunesse.
Premier texte jeunesse pour Chimamanda Ngozi Adichie, À ce soir, maman ! est le récit de l’attachement d’un enfant à un objet de la mère : le foulard. Ici, le foulard est un foulard de nuit, “pour que ses cheveux restent toujours jolis”. Le rôle du foulard est explicite sans être un sujet, on ne débat pas du danger ou de la (non-)légitimité du foulard. Il existe simplement à l’intérieur d’un foyer, d’une enfance, d’une relation mère-enfant.
Où m’écouter ?
Ce jeudi 17 octobre, je serai au siège du Planning Familial pour parler de la collection J’aimerais t’y voir, à partir de 18h30. L’événement est gratuit et ouvert à toustes, en présentiel et à distance, inscription ici.
On fait quoi ?
Le mercredi 16 octobre, double événement pour célébrer la sortie du dernier bébé de Shed publishing, Le musée mal rangé : Atelier-goûter pour enfants à La supérette (Malakoff, 92) puis Vernissage-apéro à La Régulière (Paris 18e) à partir de 18h. On s’y retrouve ? Plus d’informations ici.
Le mercredi 30 octobre, lancement de La domination oubliée - Politiser les rapports adulte-enfant, dernier bébé des éditions blast, au Monte en l’air (Paris 20e) à partir de 19h30.
On lit quoi ?
Lucile Novat, De grandes dents, La Découverte.
Après Au NON des femmes et Faut-il en finir avec les contes de fées ? de Jennifer Tamas, on continue l’année 2024 sur les contes avec De grandes dents de Lucile Novat, une nouvelle enquête sur le Petit Chaperon rouge publiée à La Découverte.


Collectif, Nos enfants, nous-mêmes, Hors d’Atteinte.
Après Notre corps, nous-mêmes, c’est au tour de Nos enfants, nous-mêmes d’être réactualisé aux éditions Hors d’Atteinte ! Il y a, évidemment, une partie sur la littérature jeunesse !
On écoute quoi ?
Nadège, bibliothécaire et autrice lesbienne, vient de lancer son podcast sur les littératures lesbiennes : De la lavande entre les pages. Le premier épisode est consacré à la rentrée littéraire !
Sur l’internet
Mediapart nous parle des deux livres sur le privilège blanc de la rentrée littéraire : “Le privilège blanc pris au mot”.
Laura Nsafou prend soin de nous. Elle a publié un article sur le SolarPunk, un autre sur les esthétiques décoloniales et un dernier sur l’invisibilisation des personnages non blancs sur les couvertures VF. On peut aussi retrouver une nouvelle de Laura Nsafou sur le site de Reporterre : Les disparus d’Abet. La consigne ? Ecrire sur des futurs écologiques positifs ! Il y en a six en tout, on peut notamment y retrouver Wendy Delorme et Camille Brunel.
Le dernier numéro de la revue Raisons éducatives est sorti, il a pour sujet : “Entre éducation engagée et émancipation empêchée : involution, dévolution, révolution”.
Juan Alfonso Belmontes & Natalie Pudalov (trad.), Le mariage de Coquet le coq, OQO, 2011.
Alice Brière-Haquet & Lionel Larchevêque, La princesse qui n'aimait pas les princes, Actes Sud jeunesse, 2010, en arrêt de commercialisation. Disponible dans la collection poche d’Actes Sud jeunesse depuis 2014.
Davide Cali & Fatinha Ramos, Tourmaline, Alice Jeunesse, 2021, en arrêt de commercialisation.
Lida Durdikova & Etienne Morel, Poule rousse, Flammarion Jeunesse, 1956.
Brigitte Minne & Trui Chielens, Princesse Pimprenelle se marie, Cotcotcot Editions, 2020.
Claire Pommet & Pauline de Tarragon, Sous les paupières, la Ville brûle, 2022.
Xerardo Quintia, Maurizio & A. C. Quarello (trad.), Titiritesse, OQO, 2008, en arrêt de commercialisation.
Adela Turin & Letizia Galli (trad.), Jamèdlavie, Editions des Femmes, 1977, en arrêt de commercialisation. Réédité par Actes Sud jeunesse en 2000, lui aussi en arrêt de commercialisation.
Elsa Kedadouche & Amélie-Anne Calmo, L'Amoureuse de Simone, On ne compte pas pour du beurre, 2022.
Jean-Christophe Marurie, Philomène m'aime, P'tit Glénat, 2011, en arrêt de commercialisation.
Nous avons douze albums où l’homoparentalité est expliquée et seulement sept où elle est banalisée. Six sur ces sept ont été publiés par la maison On ne compte pas pour du beurre entre 2021 et 2023. Bibliographies complètes disponibles à la fin de notre guide.
Sur l’héténormativité à l’école, je vous conseille, pour la 100e fois, Hétéro, l'école ? de Gabrielle Richard. J’en avais fait un compte-rendu ici.
Vous vous êtes peut-être écrié, et Poussine ? Il n’a pas été oublié, mais mis de côté, j’en parle ici.
Dans mon mémoire puis dans mon guide sur les personnages d’enfants non blancs dans les albums jeunesse, j’aborde la question de la traduction. Alors que le secteur éditorial jeunesse est un secteur qui crée plus qu’il ne traduit (12%), on retrouve une part anormalement élevée de traductions lorsque l’on regarde uniquement les albums ayant un personnage d’enfant non blanc dans un contexte occidental réaliste (50-60%). Sur les albums avec des personnages LGBTQI+, on était à 16 traductions sur 64, soit 25%. Si on retire les titres d’On ne compte pas pour du beurre, pour avoir une image du secteur sans la contribution de cette structure spécialisée, on arrive à 15 traductions sur 53 albums, soit 28%. Il y avait un peu plus de traductions que la normale, certes, mais pas de manière assez significative pour qu’on décide de le pointer dans le guide sur les personnages LGBTQI+.
A noter que quand on regarde uniquement les albums avec des personnages LGBTQI+ non blancs, on arrive à 8 traductions sur 13 albums, soit 61%. Ce qui correspond à la part de traductions dans les albums ayant un personnage d’enfant non blanc dans un contexte occidental réaliste. On pourrait se dire que c’est équivalent, mais il y a dans les albums avec des personnages LGBTQI+ des contextes non réalistes (plus merveilleux qu’étrangers pour le coup). Si l’on prend l’ensemble des albums avec des personnages d’enfants non blancs sans se préoccuper du contexte, comme on l’a fait pour les personnages LGBTQI+, on arrive à 162 traductions sur 418 albums, soit 39%.
Donc 28% de traductions pour les albums avec des personnages LGBTQI+, 39% pour les albums avec des personnages d’enfants non blancs et 61% pour les albums avec des personnages LGBTQI+ non blancs. Si l’on exclue les albums d’On ne compte pas pour du beurre, on arrive à 78% de traductions pour la dernière catégorie. Si l’on exclue les albums d’On ne compte pas pour du beurre et les princesses, on arrive à 100% de traductions.
Conclusion ? Le secteur éditorial français a du mal à créer des albums avec des personnages marginalisés, il a encore plus de mal à créer des albums avec des personnages à l’intersection de plusieurs marginalisations.
Dans Bridgerton, tous les rapports sociaux de race disparaissent après que le roi George III ait épousé la reine Charlotte, première personne non blanche à porter la couronne britannique. En quatre saisons, donc quatre années, la famille Bridgerton célèbre quatre mariages mixtes (sur cinq), sans que cela ne pose problème, ni aux membre de la famille Bridgerton ni à la haute société (the ton). Cela n’est même pas abordé (contrairement au titre, à la rente ou même à la simple réputation).