#25 - les lesbiennes sont chouettes
La journée de la visibilité lesbienne c’est pas tout de suite, mais ici, la visibilité lesbienne, c’est tous les jours, et j’ai pas moins de quatre nouveautés jeunesses lesbiennes à vous présenter ce mois-ci, alors c’est parti pour le génie lesbien !
En librairie
Sandra Le Guen & Julien Arnal, Mouette & Chouette, Little Urban.
Horreur, catastrophe, j’ai raté un album lesbien. Il aura fallu que la merveilleuse Anne-Fleur Multon partage l’album sur ses réseaux pour que la nouvelle me parvienne.
68 ans après Poule rousse, c’est au tour d’une chouette et d’une mouette de tomber amoureuses. Ici, la vie à deux n’est pas la fin heureuse, mais le sujet explicite et central de l’album, de la rencontre initiale jusqu’à l’arrivée de leurs bébés - nés de cinq petits œufs de différents coloris […] qu’elles couvèrent ensemble.
Julie Delporte, Grandes oreilles, La Pastèque.
Julie Delporte, on la connaît surtout pour ses bandes dessinées, mais elle publie aussi en jeunesse ! Grandes oreilles est son deuxième album jeunesse. Son tout premier album jeunesse, Je suis un raton laveur, est un petit bijou sur les émotions des enfants.
Jusqu’ici, nous n’avions que quatre albums avec une famille lesboparentale banalisée, dont trois publiés par les éditions On ne compte pas pour du beurre1. Voici le cinquième. L’album est centré sur Léontine, le chien de la famille, tout perdu lorsque son humain·e part dormir chez un copain et l’abandonne. Sam, de son nom, n’est jamais genré·e, sans que cela soit un sujet. Il s’avère qu’iel a deux mamans, sans que cela soit un sujet. Le sujet, c’est la place qu’on prend dans une famille en tant que petit chien aux oreilles longues ❤
Loraine Capelier & Ella Coutance, J’aurais pu, Gallimard jeunesse.
Nous avions compté 11 albums avec un panorama de familles dont des familles homoparentales dans notre guide Où sont les personnages LGBTQI+ en littérature jeunesse ?. Je n’ai pas pris la peine de compter ceux qui étaient sortis depuis, mais en voici un autre. Ici, la diversité des parentalités est représentée dans le monde animal. On met donc sur le même plan le fait de porter un enfant dans une poche ventrale, réalité proprement animale, et le fait d’avoir un enfant avec une autre “maman”, réalité partagée avec les êtres humains. Il est plus que questionnable de lier les homoparentalités à des pratiques purement non humaines. Par ailleurs, le monde animal ne permet pas réellement de représenter les expériences vécues dans le monde humain, pas toutes du moins, et pas de manière satisfaisante - avoir un bébé avec une autre Orang-outan ou avec une autre femme comporte quelques différences majeures.
Jean-Baptiste Drouot, Et à la fin, hélium
Là aussi, le lesbianisme se retrouve au milieu d’une série de possibilités plus au moins réalistes. Dans Et à la fin, l’auteur n’écrit pas la fin de l’histoire, c’est aux personnages d’imaginer une série de potentielles fins : la princesse qui se sauve elle-même, la princesse qui n’a pas besoin d’être sauvée, mais aussi la princesse sauvée par une autre princesse. Les fins féministes, queers, inclusives sont présentes au milieu d’un ensemble de fins plutôt comiques et absurdes.
Mathilde Forget & Célia Housset, Il était une autre fois, On ne compte pas pour du beurre.
Plus de deux ans après l’Il était une autre fois d’Anne-Fleur Multon, c’est Mathilde Forget qui s’essaie à l’exercice de la réécriture queer et féministe des histoires de notre enfance. L’hiver est passée, le printemps arrive, et c’est du côté des contes, mais aussi des légendes médiévales et de la littérature de l’enfance, que des récits ont été puisés. Côté lesbien, nous avons Heidi, qui se plie à la demande de sa fille : lui raconter la première fois qu’elle est tombée amoureuse. Vous connaissez sûrement l’histoire : une petite fille des montagnes, condamnée à vivre en ville, qui s’attache malgré sa tristesse à la petite fille paralysée à qui elle doit tenir compagnie, la petite Clara.
Mais, Heidi a toujours été lesbienne, nous a dit la toute première enfant ayant lu le conte.
Dans Où sont les personnages LGBTQI+ en littérature jeunesse ?, je posais la question : à partir de quel moment un album jeunesse est-il lesbien ? J’y répondais, notamment, à l’aide de l’Il était une autre fois d’Anne-Fleur. Un album pourrait être lesbien parce qu’il l’est explicitement, parce qu’il pourrait être lu comme tel et/ou parce qu’il a été désigné comme tel par son auteurice et/ou sa maison d’édition. Pourrait être lu comme tel, c’est-à-dire ? Je mentionnais le principe de codage lesbien, insérer des éléments lesbiens, comme la violette, pour signaler qu’un texte, qu’une relation, qu’une interaction, qu’un personnage serait lesbien aux lesbiennes - ce qu’a fait Anne-Fleur pour sa Belle et sa Bête. Je mentionnais également le concept de “continuum lesbien” d’Adrienne Rich, l’idée que le lesbianisme ne serait pas une préférence sexuelle mais une expérience minoritaire, celle de la transgression au régime hétérosexuel, et que les femmes se situeraient toutes sur un continuum, lesbien, composé d’un large registre d’expériences transgressant ce régime : des liens entre femmes forts, exclusifs, des projets de vie entre femmes qui excluraient les hommes, etc.
Donc oui Lila, Heidi a toujours été amoureuse de Clara, tu as bien raison, mais pour la première fois, elle le dit, à son enfant et à tous les enfants, une fleur violette à la main.
- et dans “Robin des Bois”, Frère Tuck devient Sœur Tuck, dévastée par la perte de son grand amour, Rosa (Bonheur ?) -
- et dans “La Belle au bois dormant”, la Belle a deux mamans -
Où m’écouter ?
Le 9 avril, je serai à la Bibliothèque Robert-Desnos à Montreuil avec Elsa Kedadouche, directrice éditoriale d’On ne compte pas pour du beurre, sous l’invitation des Missives. La rencontre “Littérature jeunesse : à la recherche de visages pluriels” commencera à 18h ! Toutes les informations pratiques sont ici.
On lit quoi ?
La Revue des livres pour enfants a dédié son dernier numéro à la question du genre ! Côté recherche, vous pourrez y retrouver des articles de Julie Fette et de Romarin Arnaud, mais aussi de Spencer Robinson, mon co-auteur pour Où sont les personnages LGBTQI+ en littérature jeunesse ? - il se pourrait également que ma tête apparaisse du côté “Vie de l’édition”.
Sur l’internet
Le dernier fenêtre sur cours se focalise sur l’éducation contre tous les racismes, j’ai eu le plaisir de répondre à quelques questions.
Le collectif des doctorant·es du RIED (Le Réseau international “Éducation et Diversité”) a publié une série de billets à la suite des 5èmes Rencontres du RIED à Marseille : “Le colonial, l’école et la recherche en éducation : un regard critique sur les journées du RIED 2024”.
Sophie Kovess-Brun & Sandrine Revel, Le voyage de June, Des ronds dans l’os, 2015, en arrêt de commercialisation.
Caroline Fournier & Carolane Storm, La voix bleue, On ne compte pas pour du beurre, 2021.
Caroline Fournier & Carolane Storm, La Vallée du miel, On ne compte pas pour du beurre, 2022.
Nina Lacour & Kaylani Juanita (trad.), Mamoune, Maman et moi au milieu, On ne compte pas pour du beurre, 2023.