#21 - Rattrapages
Attention, soyez prêt-es, j’ai été récupérer tous les albums jeunesse publiés en 2024 avec des représentations potentiellement intéressantes que je n’avais pas encore chroniqués. Il y en a 15 !
Bonne lecture ✨
En librairie
Sara Villius & Mari Kanstad Johnsen (trad.), Une journée, Cambourakis.
On suit la journée en crèche d’un petit garçon, c’est un papa qui dépose et récupère l’enfant, sans que ça soit un sujet !
Sara Gimbergsson (trad.), Gaston pleure, Versant Sud.
Toujours du côté suédois, Gaston est un petit garçon qui pleure, un petit garçon qui console son petit frère, un petit garçon qui est consolé à son tour. Jamais il ne lui est reproché d’être un garçon qui pleure.
Jackie Azúa Kramer, Jonah Kramer & Zach Manbeck (trad.), Gabriel & la licorne, Little Urban.
“- Les licornes ça n’existe pas.
- Et les garçons n’aiment pas les licornes.
- Moi, je les aime, répond Gabriel.”
Alors qu’on lui dit que des balivernes, Gabriel est bien déterminé à prouver que si, les licornes ça existe. Il y a propos sexiste remis en question, mais l’album ne se concentre pas dessus, le préjugé sexiste est défait en une phrase. C’est prouver l’existence des licornes qui va occuper Gabriel, pas de prouver que les garçons peuvent aussi les aimer.
Jacqueline Woodson & E. B. Lewis (trad.), L’autre côté, D’Eux.
Un album sur la ségrégation raciale à hauteur d’enfants ! Deux petites filles ont envie de jouer ensemble, mais il y a une clôture entre elles et une des mamans qui refusent. Mais il en faut plus pour séparer deux enfants qui veulent jouer ensemble. L’album se finit sur un espoir : un jour, quelqu’un viendra enlever la clôture qui sépare les petites filles noires des petites filles blanches.
Stéphanie Demasse-Pottier & Marina Philippart, Plic ! Ploc !, bayard jeunesse.
Après Petite Bébé est fâchée, Stéphanie Demasse-Pottier revient avec un nouveau tout carton avec un personnage d’enfant non blanc. La petite fille est simplement colorisé, mais, pour une fois, elle porte une coiffure protectrice. A noter qu’on voit bien la petite fille chez elle, mais seule, sans parents.
Corinne Dreyfuss, Montre-moi !, Thierry Magnier.
Pas très exactement un album, c’est-à-dire un objet-livre avec un iconotexte et un récit fictif adressé à la petite enfance, mais plutôt un livre-jeux. L’enfant lecteurice doit montrer des éléments présents sur chaque double page. On notera qu’il y a deux personnages, un garçon blanc et une petite fille noire, et que c’est la petite fille noire qui est sur la couverture, seule. Pourquoi le noter ? Parce que la surreprésentation de personnages d’enfants non blancs sur les couvertures de livres illustrés cachent la quasi-absence d’album avec des personnages d’enfants non blancs héros de leurs récits.
Anna Llenas, le joyau intérieur, Glénat jeunesse.
En voilà un deuxième ! Ici il s’agit d’une adresse aux enfants, vous avez un joyau intérieur précieux en vous, vous êtes merveilleux, illustrée par un ensemble de personnages d’enfants, dont deux non blancs (il s’agit littéralement du seul personnage colorisé, le reste ont la couleur du papier blanc). C’est, bien sûr, un des deux personnages non blancs qui est sur la couverture, alors même qu’il n’est présent que sur deux doubles pages !
Tom Percival (trad.), Les ponts qui nous lient, Kimane.
Un album sur la puissance de la lecture. Le personnage principal est une petite fille noire, simplement colorisée.
Si vous ne m’avez jamais lue avant, je dis que le personnage a “simplement” été colorisé pour pointer qu’il n’a pas été écrit comme étant non blanc. On pourrait remplacer le personnage par un personnage blanc sans que ça impacte le récit. Coloriser des personnages permet de diversifier les représentations sans pour autant permettre aux vécus, réalités, expériences des personnes non blanches d’exister en littérature jeunesse.
Anna Wilson & Jenny Bloomfield (trad.), Comme les hirondelles, Kimane.
Un grand frère explique à son petit frère qu’il doit, comme les hirondelles, partir pour un long moment, mais que comme elles, il reviendra. L’album a un contexte étranger, mais il ne s’agit pas d’un album “ethnographique”, un album sans réel récit où un personnage vivant à l’étranger fait la leçon sur son existence. Imaginez un Jack à Paris qui mange des croissants tous les matins, vit en bas de la Tour Eiffel et dont la seule passion est de jouer à l’accordéon.
Nabila Adani (trad.), Les vacances d’Aïcha, Kimane.
Alors qu’elle se retrouve, encore, à rendre visite à sa grand-mère à la campagne, Aïcha envie les vacances des copains copines. Les autres vont à la neige, à l’aquarium, prennent une maison avec piscine, pendant qu’elle retourne, encore, chez mamie. Bien sûr, la petite fille réalise très vite que rien n’est mieux que sa mamie.
Le récit a pour contexte l’Indonésie, on le sait parce que l’enfant dit qu’ils partent de Djakarta, parce qu’ils mangent des es campur sur la route et qu’ils préparent du soto en arrivant, mais on n’est pas, non plus, sur un album “ethnographique”. Il y a aussi des éléments dans le décor (l’architecture, les écritures sur certains bâtiments et le fait qu’ils soient par terre pour cuisiner et manger).
A noter : nous avons un nouvel album avec un personnage voilé ! La mère et la grand-mère portent toutes les deux le voile, c’est donc le troisième album avec un personnage voilé ! On avait déjà Un nouvel ami et Tout est si brillant.
Nicolas Deleau & Laurent Simon, Un sari vert et bleu, Gallimard.
Julie est une petite fille française, blanche, née en Inde. Elle n’a jamais vécu en France, mais elle va devoir.
On commence l’album par une présentation de l’Inde depuis le point de vue de la petite fille blanche française, qui expose sa réalité à un lectorat français (des choses normales pour l’Inde sont caractérisés comme pouvant paraître bizarre). Ça a le mérite d’être plus réaliste que les albums “ethnographiques”. Les parents explicitent leur situation, ils ont la chance de choisir de partir, ils ne sont pas forcés par une guerre ou une situation désastreuse. Une fois rentrée en France, elle rencontre Pûnnagaï, une petite fille sri-lankaise. Elle se sent proche de sa situation, être déracinée de son environnement, tout en observant une différence criante : alors que Julie a été bien accueillie en arrivant en Inde, ce n’est pas le cas de Pûnnagaï en France.
Les deux petites filles deviennent amies, partagent ensemble des pratiques culturelles communes et des découvertes partagées, comme la neige.
Jali Madi Susso & Felicia Fortes (trad.), Addi et sa coupe afro, Cambourakis.
La collection “Sorcières” continuent de contaminer doucement mais sûrement le reste du catalogue Cambourakis. Six ans après le succès de Comme un million de papillons, Cambourakis publie, à nouveau, un album sur le rapport aux cheveux crépus, dans son catalogue jeunesse cette fois.
Le petit Addi veut sortir faire de la luge, mais ses grands-parents (blancs) tiennent leur position : on ne sort pas sans bonnet ! Il faut attendre que papa arrive et tresse ses cheveux - eux en sont bien incapables. Addi ne les écoute pas et s’enfuit, afro au vent. Sur la montagne, Addi se retrouve à devoir expliquer aux animaux rencontrés sur son chemin que non, sa coupe afro n’est pas un bonnet, et que non, on ne peut pas sauter dedans pour se réchauffer. L’enfant ramène tous les animaux de la montagne à la maison pour leur donner des bonnets, c’est quand même mieux qu’embêter les petits garçons. Papa rentre et s’occupe des cheveux du petit garçon. Il a, au début, la même position que les grands-parents : tu dois tresser tes cheveux pour pouvoir porter un bonnet. Mais il finit par accepter qu’Addi porte son afro, à une condition : il doit dire s’il commences à avoir froid aux oreilles. L’album se finit sur toute la famille qui fait de la luge, le papa (noir) avec des nattes et un bonnet, Addi avec son afro.
Kyle Lukoff & Kaylani Juanita (trad.), Comment Aidan est devenu un grand frère, Sorcières, Cambourakis,
En parlant de la collection “Sorcières”, j’ai complètement oublié de vous parler du dernier bébé jeunesse de la collection : Comment Aidan est devenu un grand frère.
Il s’agit d’un album sur l’arrivée d’un nouveau bébé dans une famille, thème assez classique en littérature jeunesse, mais cette fois-ci, le grand frère est trans ! L’album est centré sur le nouveau rôle d’Aidan, son angoisse d’être un bon grand frère, sa peur que l’enfant à venir soit lui aussi, compris de travers. Mais maman trouve les mots pour le rassurer :
- Quand tu es né, nous ne savions pas que tu deviendrais notre fils. Nous avons fait des erreurs, mais tu nous as aidés à arranger les choses. Et tu nous as appris combien il est important d’aimer les personnes exactement pour ce qu’elles sont. Notre bébé a beaucoup de chances de t’avoir, et nous aussi.
L’album se finit sur cette douce pensée d’Aidan :
Peut-être que tout ne serait pas non plus parfait pour bébé. Peut-être que Aidan aurait besoin de corriger des erreurs qu’il n’avait même pas conscience de commettre. Et peut-être que ça n’était pas grave. Aidan savait ce que c’était d’aimer, après tout, c’est ce qui compte le plus quand on devient grand frère.
C’est la première fois que le mot “transgenre” apparaît dans un album jeunesse - à l’exception de l’album avec une scène de tentative de suicide1. On nous montre un parcours d’enfant transgenre, son cheminement, son système de soutien, sans en faire une leçon à destination des personnes cisgenres, sans centrer le récit autour de violences subies. Un récit doux, plein d’amour, à hauteur d’enfant.
Lou Sarabadzic & Maya Mihindou, Seul le sol, Cambourakis.
Et pour finir chez Cambourakis, un album qui aurait aussi pu être un “Sorcières” : Seul le sol. Une célébration du sol et de tout ce qu’il est, par une petite fille noire.
il est tout, il est sous, le sol
et il est sur, il est sûr
seul le sol peut nous faire
Camille Bouvot-Duval & Léa Djeziri, Iddù, La Déferlante.
Il était une fois une île avec un volcan, Iddù, et un enfant, Dodù. Alors que certain-es savaient que le vivant ne faisait qu’un, d’autres avaient choisi de rendre responsable le volcan de tous leurs maux. Très vite, ils s’organisent pour l’éteindre, il ne sert à rien, il grogne, il brille, nuit et jour. Humain ou volcan, qui est le plus puissant ? Comme si les humains et le volcan étaient ennemis, comme s’ils ne coexistaient pas sur la même île. L’anti-lave versé dans le cratère du volcan ne fonctionne pas. Au contraire, il réveille le volcan qui était jusque-là endormi. Tous les humains de Dodù se rassemblent autour de lui, quoi faire ? On évacue l’île d’un côté, on va apaiser le volcan de l’autre, à l’aide d’offrandes et de chants. Tout le monde dort, enfin. Au réveil, un monde nouveau.
Un conte écoféministe à hauteur d’enfant, doux et beau.
On écoute quoi ?
Overbookées est de retour, avec un épisode dédiée aux illustratrices, un aux poétesses, un aux figures noires de l’Histoire de France et un dernier aux romancières !
Sur l’internet
Sur le carnet de recherche Môments animaux, Anaïs Perrin revient sur deux documentaires jeunesse féministes : “Les “animales” : quand causes animale et féministe s’entrecroisent”.
Sur The Conversation, un article sur la domination des enfants, écrits par l’équipe de La domination oubliée. Politiser les rapports adulte-enfant.
Le troisième numéro de l’incroyable revue Marronages sur le capitalisme racial !
Vous me l’avez demandé
Pendant mon intervention au Planning Familial, il m’a été demandé trois choses : une liste d’albums sur les violences sexistes et sexuelles, une liste d’albums non/ antisexistes pour les plus petits et des albums montrant la vie d’enfants placés. Il n’existe pas d’album pour la troisième catégorie, pour les deux premières j’ai fourni ceci :
Oui, oui, oui, une petite fille qui essaye de se suicider dans un album jeunesse, vous m’avez bien lue.
L’album en question : Jean-Loup Felicioli, Je suis Camille, Syros, 2019.