#10 G is for Gaza
Comme beaucoup d’autres, j’ai passé les dernières semaines à regarder un tout petit écran, pour me tenir au courant, pour partager mon deuil, pour me tenir au courant à nouveau, pour dénoncer, pour consoler, pour partager, pour soutenir.
A une amie libanaise, j’ai dit qu’il ne fallait pas sous estimer ce que réveillait en nous les crimes commis aujourd’hui. Chaque arabe, chaque juif-ve a passé sa vie entière à se sentir concerné-e par ce qu’il se passe en Palestine, à avoir peur de ce qui pourrait se passer de pire.
Les représentations en littérature jeunesse peuvent paraître bien triviales là tout de suite, mais j’ai passé les dernières semaines à observer le racisme et l’antisémitisme exploser en France, à écouter les discours, à avoir peur d’aller manifester, à avoir peur d’exister.
Alors, plus que jamais, je tiens à défendre le droit pour tous les enfants d’être des enfants, d’être traité-es et considéré-es comme des enfants, y compris en littérature jeunesse.
En librairie
Séverine Huguet, Le cadeau, Talents Hauts.
Sous le sapin, Max a trouvé un gros cadeau rose. Serait-il pour lui ?
Dernier tout carton de la collection Badaboum ! de Talents Hauts, sur les couleurs genrées. Ici, Max cherche à déterminer si le cadeau est pour lui, mais, aucun nom ! Il l’ouvre et c’est bel et bien ce qu’il a commandé : une licorne arc-en-ciel à paillettes !
Cet album fonctionne sur le fait qu’on parte du principe que le cadeau n’était pas pour lui, d’abord parce que l’emballage était rose, puis parce que le jouet est en lui-même rose. Pour que le doute ne puisse pas planer, on voit, à l’intérieur du paquet ouvert, l’étiquette avec le nom du garçon : Max.
Barbara Cuoghi & Elenia Beretta, Befana la sorcière, Cambourakis.
Cet album est du point de vue de la sorcière. Elle nous explique ce qu’il se passe autour de la douzième nuit après Noël pour elles, les sorcières : entre le 25 décembre et le 6 janvier, mes sœurs magiques et moi volons au-dessus des champs tout juste semés pour protéger leur fécondité.
Loin des sorcières qui font peur et de la sorcellerie diabolisée, Befana nous présente des pratiques magiques qui protègent celleux qui le méritent.
Tiffany Cooper, L’amour est partout, Eyrolles.
Après Patatouille, Tiffany Cooper sort son deuxième album, sur les relations amoureuses. Une petite fille vit son premier chagrin d’amour, sa mère lui explique que l’amour romantique n’est pas le seul, ni le plus important.
La petite fille est métisse. Et même si l’album est centré sur la fille et la mère, on voit aussi le père, non blanc. Le fait qu’il s’agisse d’une famille multiraciale n’impacte pas le récit.
Jessie Magana & Stéphane Kiehl, Tadellala : histoire d'une friponne, Actes Sud jeunesse.
Après Brise Montagnes, c’est au tour de Tadellala de se faire blanchir. Brise Montagne est un conte haïtien, Tadellala un conte kabyle. Pourtant, dans les versions Actes Sud jeunesse, Brise Montagne est blanc aux joues rouges et Tadellala rousse à la peau très claire. Comment expliquer ce blanchiment ? Même lorsque les récits n’ont pas un contexte français, les personnages sont imaginé-es blanc-hes, au point où personne, ni l’autrice, ni l’équipe éditorial, ni personne n’a fait remarqué qu’il était peut-être malvenu de récupérer un conte étranger en blanchissant ses personnages.
Alia Cardyn & Violette Imagine, Le Plus Grand Secret du monde, Actes Sud jeunesse.
Il y a très longtemps, au milieu de la place d’un village est arrivée, comme ça, un beau jour, une boîte. Trois enfants se risquent à ouvrir cette mystérieuse boîte, chacun-e à leur tour : une petite fille noire, puis un petit garçon blanc et enfin une petite fille blanche. Le fait qu’elle soit noire et qu’iels soient blanc-hes n’a aucun impact sur le récit.
Anne Loyer & Lili la baleine, Soirs de fête, maison eliza.
Une femme âgée voit arriver une nouvelle famille dans l’immeuble, un couple et un enfant, tous les trois non blancs, leur arrivée fait remonter de doux souvenirs d’enfance.
Le fait qu’elle soit blanche, et que ses voisin-es ne le soient pas n’a aucun impact sur le récit.
Denis Peiron & Hélène Druvert, Framboise ou citron ? A toi de choisir ! Saltimbanque.
Le voici, notre album avec un ensemble de personnages illustrant un propos adressé aux enfants, avec au moins un personnage d’enfant non blanc.
Adriena Fong, Ning et les esprits de la nuit, l’école des loisirs.
Ce récit a un contexte étranger, non situé.
Sue Hardy-Dawson & Carolina Rabei, Le semeur de rêves, Kimane.
L’Enfant Étoile sème des graines de rêve pour les enfants endormi-es… A travers l’album on le suit de maison en maison, d’enfant en enfant : trois petites filles noires, deux asiatiques, six blanches, deux petits garçons noirs et deux petits garçons blancs. Huit personnages d’enfants blancs et huit personnages d’enfants non blancs, tout pile.
Beata Umubyeyi Mairesse & Véronique Joffre, Peau d’épice, Gallimard Jeunesse.
Comme dans L’amour est partout, Peau d’épice se concentre sur une famille multiraciale. Le papa est tout juste rentré du pays, la valise remplie des fruits du verger de Mamouna : goyave, litchi, pitaya, tamarillo… La petite fille pose de nombreuses questions à ses deux parents sur le pays que son papa appelle aussi « chez moi ». Il lui parle de sa nostalgie, qu’elle partage « j’ai la nostalgie de ton pays ».
Elle aimerait tellement aller là-bas pour de vrai... Un jour, c'est promis, ils s'envoleront vers ce lieu que papa appelle aussi «chez moi».
Contrairement à L’amour est partout, le fait qu’il s’agisse d’une famille multiraciale est au cœur du récit.
On compte en tout et pour tout… deux albums où l’appartenance à une diaspora1 impacte le récit, celui-ci et Tout est si brillant.
Il se passe quoi ?
Ça y est, Violette and Co a rouvert ! Vous pouvez dès à présent trouver leur sélection jeunesse lesbienne et féministe ✨ D’après mon éditrice, c’est comme voir notre guide sur les représentations LGBTQI+ en rayons…
Le 8 novembre c’est le lancement du recueil #WhenIWas15 - Lire et Dire le désir aux éditions Thierry Magnier !
Cet été, le Ministère de l’Intérieur a interdit à la vente aux mineurs Bien trop petit, roman érotique pour grands adolescent-es. Nicolas Mathieu lance alors un appel à textes, à témoignages d’adolescence : #WhenIWas15. C’est quelques 70 textes qui ont été choisis, préfacé par Nicolas Mathieu, pour dire qu’il est important d’offrir d’autres récits, d’autres représentations du désir, surtout aux adolescent-es.
Où m’écouter ?
Le 23 novembre je serai à Liège avec Laura Nsafou pour une conférence sur la diversité en littérature jeunesse organisée par Ilo citoyen, outilthèque vivante.
Deux ans après la table ronde de l’enfer sur la cancel culture, Laura et moi aurons l’occasion d’être invitée à discuter ensemble pour la première fois ! ( ♥ )
On lit quoi ?
Il reste encore quelques jours pour précommander le 4e numéro de la revue des Ourses à Plumes sur le travail ! Vous pouvez retrouver une présentation des différents articles sur leur compte Instagram : congé menstruel, salaire à vie, doula queer, grossophobie, psychophobie, transphobie, islamophobie, racisme, sexisme, coopératives, agriculture et… représentations en littérature jeunesse !
Merci à toute l’équipe pour leur temps et leur travail, ça a été un plaisir de répondre à leurs questions ! 🐻
Sur le carnet
Ma lecture d’Entrer en pédagogie antiraciste, actes des stages antiracistes de la commission antiraciste de SUD Education 93 publiés aux éditions Shed.
Sur l’internet
Fania Noël continue sa rubrique “des amis qui vous veulent du bien” pour Manifesto XXI, avec un article sur Barbie.
Môments animaux nous parle de réécritures de comptines sur son carnet de recherche.
Le dernier numéro de la revue COnTEXTES “Gender studies et sociologie de la littérature” : Renée Vivien, épistémologies féministes et critique littéraire, Adrienne Monnier et Sylvia Beach, Présence Africaine, entretien avec Kaoutar Archi, table ronde sur le genre et les métiers du livre… un beau programme !
Vous me l’avez demandé
Sur la Palestine :
Noam Chomsky, Préface de Edward W. Saïd, trad. Louis de Bellefeuille, Israël, Palestine, Etats-Unis : le triangle fatidique, écosociété, 2006.
Noam Chomsky & Ilan Pappé, trad. Nicolas Calvé, Palestine, écosociété, 2016.
Mahmoud Darwich, trad. Elias Sanbar, La Palestine comme métaphore, Actes Sud, 2002.
Angela Y. Davis, Freedom is a Constant Struggle - Ferguson, Palestine, and the Foundations of a Movement, Haymarket Books, 2016.
Karmi Ghada, trad. Eric Hazan, Israël-Palestine, la solution : un Etat, La Fabrique, 2022.
Rashid Khalidi, The Hundred Years' War on Palestine - A History of Settler Colonialism and Resistance, 1917–2017, macmillan, 2020.
Yakov Rabkin, Comprendre l’État d’Israël, écosociété, 2014.
Edward W. Said, trad. Jean-Claude Pons, La Question de Palestine, Actes Sud, 2010.
Elias Sanbar, La Palestine expliquée à tout le monde, Seuil, 2013.
« l’appartenance à une diaspora, c’est beaucoup plus global que le fait d’être immigré. Car la génération des enfants de parents immigrés, ce sont des nationaux. Ce qui ne les empêche pas d’appartenir à la diaspora. La diaspora, c’est avant tout un sentiment d’appartenance culturelle commune ». Hélène N’Garnim-Ganga dans Celia Sadaï, « Diasporas africaines : vers une solidarité renforcée », Hommes & Migrations, n°1332, 2021.