#15 - Connaissez-vous Sara Ahmed ?
L’équipe des mots à la bouche est adorable, iels ont prévu de recevoir Sara Ahmed le soir de ma dernière date de promotion !
Pour moi et pour beaucoup d’autres, ses travaux sont une ligne de vie plus que précieuse ❤️.
Si jamais vous n’avez pas (encore) lu Sara Ahmed, nous avons maintenant quatre traductions françaises (sur 9) : Queer Phenomenology, Vivre une vie féministe, Manuel rabat-joie féministe et Vandalisme queer. L’introduction de The Promise of Happiness a été traduite ici.
Si vous parlez anglais, vous pouvez rattraper ses billets de blog et/ou lire ses nombreux articles académiques. A ma connaissance, un seul a été traduit en français : “Les rabat-joie féministes (et autres sujets obstinés)”.
En librairie
Juliette Vallery & Camille Camillon, Lilou la casse-cou, Mango.
A chaque blessure de guerre, Lilou a droit à un “Ne t’en fais pas, mon poussin, c’est trois fois rien”. Elle a un objectif : une semaine de bêtises spectaculaires ! Il est temps que sa maman la prenne au sérieux… Lilou ne correspond pas aux normes genrées, sans jamais que ça soit le sujet. L’enjeu n’est pas de pouvoir être casse-cou alors qu’elle est une fille, il est de ne plus être considéré comme un bébé.
Emmanuelle Kécir-Lepetit & Xiana Teimoy, La famille Alenvers : Papa fait un caprice, Fleurus.
Emmanuelle Kécir-Lepetit & Xiana Teimoy, La famille Alenvers : Maman fait sa cheffe, Fleurus.
Ces deux albums suivent le même principe : un parent reproduit un comportement de l’enfant pour lui apprendre une leçon. Le père fait des caprices comme les deux jumeaux (une fille et un garçon), la mère fait sa cheffe comme le garçon. Les enfants se retrouvent à punir les parents, comme elleux le feraient, mais les rapports de pouvoir ne sont jamais vraiment renversés ni même questionnés. Le renversement n’est qu’un moyen, pour les parents, de se faire comprendre et de discipliner les enfants.
Chitra Soundar & Sandhya Prabhat (trad.), Il est temps de fermer tes petits yeux, Kimane.
Il s’agit d’une adresse d’un parent à son enfant sur le sommeil. Sur la 4e de couverture on peut lire : “cet album est empreint de l'âme de l'Inde, de sa faune et de sa flore”. Je ne l’avais pas repéré à ma première lecture. Pourquoi ? Parce que les animaux typiquement associés à l’Inde étaient présents, certes, mais sans être prédominants. Dans cet album, on retrouve des renards, des coqs, des aigles, des abeilles, des papillons, des libellules… qui font tout autant partie de la faune indienne que les singes, les tigres, les éléphants ou les rhinocéros (eux aussi présents dans l’album). La production d’albums français ayant pour contexte l’Inde ou y faisant référence tend à se focaliser uniquement sur les animaux les plus intrigants pour un lectorat occidental dans le but de les éduquer à l’alterité et/ou de les émerveiller avec un ailleurs.
Nous avons ici un exemple d’album où les références à un pays étranger n’ont pas été pensées pour intriguer, émerveiller, éduquer un lectorat occidental.
Joana Dürnberg (trad.), L’écharpe de maman, minedition.
Cet album a pour sujet le deuil d’un parent, le souvenir de celleux qu’on a perdu-es. Contrairement à La demeure du ciel, rien dans le récit n’est culturellement spécifique, nous n’avons aucun élément explicite sur le rapport aux morts/à la mort. Les personnages sont simplement colorisés, sans que ça impacte le récit.
Tiffany Cooper, Combien tu m’aimes ?, Eyrolles.
L’autrice de Patatouille revient avec un albums sur la parentalité. Un père explique à sa fille qu’il l’aime même quand il est en colère. Les personnages sont non blancs sans que ça impacte le récit.
Maylis Daufresne & Margaux Grappe, Une fleur, Maison Eliza.
Carmen Mok & Kallie George (trad.), Océan, je t’entends, Six citrons acides.
Même problème pour ces deux albums : comment lire le gris ? La même teinte claire peut, d’un album à un autre, être utilisée pour coloriser des personnages blancs et des personnages non blancs.
Dans Océan, je t’entends, à la fin de l’album, nous avons un personnage blanc (la mère) qui permet d’identifier les personnages colorisés de façon grisâtre comme étant non blancs en comparaison. Dans Une fleur, nous ne voyons que l’enfant et sa sœur. Nous n’avons donc aucun moyen de caractériser cette colorisation grisâtre.
Paule Battault & Chiara Baglioni, Elle paffe quand la petite souris ?, Fleurus.
Samuel, petit garçon blanc, jalouse une camarade de classe, Lou, petite fille noire. Pourquoi ? Parce qu’elle a perdu sa première dent, et lui, toujours pas ! Ses parents le rassurent, chacun va à son rythme, mais Samuel est décidé. Il va donc consulter Lou, l’experte, afin d’enfin perdre sa première dent. S’en suit une série de stratagèmes plus ou moins probants, tous proposés par Lou. Nous avons un personnage d’enfant non blanc adjuvant simplement colorisé.
Pascale Moisset & Yves Viallard, Surf, surf, surf, Editions courtes et longues.
Bien que ça ne soit pas explicite, cet album a bel et bien un contexte français. Dans cet album, le surf est une pratique contemplative, liée à l’environnement où on le pratique. La faune et la flore est donc décrite en détails. A priori, on devrait être quelque par dans le Sud-Ouest. Le personnage principal est non blanc, simplement colorisé.
Naomi Shihab Nye, Enzo (trad.), La Porte A4, D’eux.
Cet album est une adaptation d’un poème : “Gate A-4”. Il n’y a pas d’enfants, je ne devrais donc pas le relever, mais il est trop important pour être mis de côté.
Cet album, ce poème, fait le récit d’une rencontre. Une poétesse arabo-américaine entend un appel dans un aéroport : “si vous parlez arabe, merci de venir à la porte A4 immédiatement”. Sa première réaction est la peur. Quelle situation peut nécessiter un-e arabophone de façon urgente de nos jours ? Mais il s’agit de sa porte, alors elle s’y rend. Elle trouve une femme en robe traditionnelle palestinienne, en larmes. L’agent demande à la poétesse d’intervenir. Le vol est retardé, la femme palestinienne était persuadée qu’il était annulé. Demain, elle est censée subir une opération importante. Ensemble, les deux femmes appellent le fils qui doit venir la chercher, puis ses autres fils, puis le père de la poétesse - bien sûr, les deux ont des ami-es en commun - puis des poétes-ses palestienien-nes que la jeune poétesse connaît… Deux heures plus tard, la femme palestinienne n’est que rire et maamoul (un biscuit palestinien). Maamoul qu’elle propose à l’ensemble des femmes présentes. A la surprise de la poétesse, toutes disent oui. Toutes sont présentes, ensemble, le même sucre impalpable sur les lèvres. La poétesse remarque quelque chose : sa nouvelle meilleure amie avait une plante en pot dans son sac. Il s’agit d’une ancienne tradition palestinienne : toujours porter une plante en pot avec soi, toujours rester enraciné-e.
And I looked around that gate of late and weary ones and I thought, This
is the world I want to live in. The shared world. Not a single person in that
gate—once the crying of confusion stopped—seemed apprehensive about
any other person. They took the cookies. I wanted to hug all those other women, too.
This can still happen anywhere. Not everything is lost.
Le poème complet est disponible en ligne.
Dans Où sont les personnages d’enfants non blancs en littérature jeunesse ?, je dénonce la surreprésentation de l’Afrique subsaharienne à l’intérieur de la production d’albums ayant pour sujet la guerre et les enfants, alors même que ce sont la guerre civile en Syrie et l’occupation israélienne qui sont les principaux responsables de la place du « Moyen-Orient » comme région où le plus grand pourcentage d’enfants vivent en zone de conflit (Save the Children, “Stop the War on Children”, 2023).
Aujourd’hui, je suis heureuse de signaler le premier album jeunesse ayant un personnage palestinien. Heureuse d’écrire qu’il ne s’agit pas d’un récit de guerre mais de paix. A quand le premier album jeunesse ayant un personnage d’enfant palestinien ?
A noter, il existe cet imagier publié aux éditions Thierry Magnier - ne le dites pas trop fort, Darmanin pourrait leur retomber dessus.
Il se passe quoi ?
Le 23/05 se tiendra à Lille une journée d’étude sur le racisme dans l’ESR. Plus d’informations ici.
Où m’écouter ?
Je serai le 18/05 à la librairie La Marge à Hagueneau pour parler d’Où sont les personnages d’enfants non blancs en littérature jeunesse ? et d’Où sont les personnages LGBTQI+ en littérature jeunesse ? !
On lit quoi ?
Les éditions du trouble ont publié son Abécédaire d'auto-édition féministe.


Après Comment jouir de la lecture ? la collection ALT de La Martinière Jeunesse revient à la littérature jeunesse avec Faut-il en finir avec les contes de fées ? Docteur et agrégée de lettres modernes Jennifer Tamas a aussi écrit Au Non des femmes, essai sur le consentement dans les contes de fée, mais pas que.
On écoute quoi ?
La deuxième saison de l’émission “Rends la joie” de la poétesse Kiyémis se finit avec Fania Noël : « Chérir les temps non productifs ».
Sur l’internet
Môments Animaux a commencé l’année en parlant de Madame le Lapin Blanc, de Jefferson, de théâtre jeunesse et de la vieillesse animale chez les frères Grimm.
Plusieurs médias se sont intéressés à la collection j’aimerais t’y voir. Comme pour les rencontres, j’ai tout listé sur mon carnet de recherche : Radio Campus Paris, Strobo Mag, SQOOL TV, L’Autre Radio, Citrouille, la revue des Librairies Sorcières, Questions de classe(s) et Franceinfo.