#14 - On fait quoi pour le 8 mars ?
Je prépare cette newsletter sur le chemin du salon du livre de jeunesse (Saint-Germain-lès-Arpajon). On ne compte pas pour du beurre y sera aujourd’hui et demain ! Vous pourrez y retrouver l’ensemble des albums jeunesse de la maison, mais aussi les titres de la toute nouvelle collection d’essais critiques de la maison : J’aimerais t’y voir. Ce sera leur tout premier salon.
La promotion de la collection a commencé doucement à Roubaix et à Paris, merci à la librairie Combo, au Bonjour Madame et à la librairie du Monte-en-l’air de nous avoir reçues. Elle va se poursuivre à Caen, Paris, Montreuil et Strasbourg, peut-être même en Bretagne, à Marseille et à Toulouse, on vous tient au courant ! L’ensemble des dates prévues sont référencées sur la page “Actu & rencontres” de la maison d’édition ainsi que sur mon carnet. Si vous souhaitez qu’on passe par chez vous, n’hésitez pas à en parler à votre librairie, bibliothèque, tiers-lieu préféré, on viendra avec plaisir !
Pour ce mois de mars, on a prévu deux lancements en librairie (Violette and Co et l’Atelier), un atelier de lecture d’albums (La Régulière) et quatre interventions dans des festivals féministes (la semaine des féminismes, Pop Women, Pop Meufs et SLAP) ! Si après ça, il y a encore des bibliothèques sans amoureuses, sans petites filles noires, sans petites filles en colère…
Hâte de vous voir, de vous lire, de vous entendre 🔥
En librairie
Georgette, Les mamies et les papis, Didier jeunesse
Après la famille et l’amour, Georgette nous parle des mamies et des papis. On peut voir une mamie non blanche sur la couverture, il s’agit de la seule. Sur 16 personnages on a une mamie non blanche et un papi non blanc, aucun personnage LGBTQI+, aucun personnage en situation de handicap…
Daniela Sosa (trad.), Les amis, Kimane.
On a aussi ici un ensemble de personnages qui illustrent un propos, sans qu’il y ait de récit à proprement parler. Il y a une minorité de personnages d’enfants non blancs et un seul personnage en situation de handicap. Il n’est présent que sur la première double page, à l’intérieur d’un groupe d’enfants.
David Roberts & Helen Doherty (trad.), Quelqu’un comme toi, Québec, La Pastèque.
On a aussi ici un ensemble de personnages qui illustrent un propos, sans qu’il y ait de récit à proprement parler (ter). Mais ici nous avons une majorité de personnages non blancs et trois personnages avec un handicap physique !
Anna Milbourne & Asa Gilland (trad.), Je me sens (un peu) timide, Usborne.
Après Je suis (presque) toujours gentil, Je n’ai pas (très) peur toute seule et Je ne m'ennuie (presque) jamais, Anna Milbourne et Asa Gilland reviennent avec un nouvel album sur une nouvelle émotion. Dans cet album, c’est une petite fille blanche qui apprend à mieux vivre une émotion, ici la timidité, mais il y a quand même un personnage secondaire non blanc, l’amie dont c’est l’anniversaire. Une bonne partie de l’album se déroule chez cette amie, avec sa famille, dans la sphère privée et non pas la sphère publique.
Tom Percival (trad.), Les petits bobards de Gaspard, Circonflexe.
Après Milo est jaloux, Lina se fait des amis, Une colère de tigre, Le souci de Julie et Un garçon (extra) ordinaire, Tom Percival revient lui aussi avec un personnage d’enfant non blanc qui apprend à apprivoiser une émotion. Ici Gaspard ressent de la culpabilité après avoir raconté des bobards à sa mamie.
Corrinne Averiss & Rosalind Beardshow (trad.), Ma Belle Étoile, Kimane.
Dans Ma Belle Étoile, une petite fille noire se fait super vétérinaire cosmique lorsqu’une étoile tombe du ciel !
Britta Teckentrup (trad.), Un jardin de bonheur, Glénat jeunesse.
Il s’agit là aussi d’une petite fille et d’une étoile, mais, est-ce un personnage non blanc ? Impossible à déterminer. Il existe des teintes beiges, voire grisâtres, qui, sans comparaison (un personnage très blanc ou très foncé à l’intérieur du même album) sont difficiles à catégoriser. C’est le cas ici. Est-ce une colorisation non blanche ? Est-ce une façon de représenter l’obscurité ? Il faudrait tester l’album avec des enfants pour déterminer si ce personnage est percevable comme non blanc par des enfants lecteurices.
Mr Tan & Alice A. Morentorn, Tant de jolis ciels, Glénat jeunesse.
Je vous disais à propos de Je me sens (un peu) timide que l’album se déroulait en partie à l’intérieur de la maison de la petite fille non blanche, qu’on avait donc accès à un espace privé. Pourquoi le pointer ? Parce que les personnages d’enfants non blancs sont majoritairement “simplement” colorisés sans êtres écrits comme des enfants non blancs. J’en parle dans le guide sur les personnages d’enfants non blancs, mais, sûrement pour éviter les risques d’exotisation, d’essentialisation, de stéréotypes racistes, les auteurices et illustrateurices semblent éviter d’attribuer à leurs personnages tout élément spécifique (plurilinguisme, pratiques spirituelles ou religieuses, références fictionnelles, cuisine, vêtements, soins). Cela donne des personnages plats, qu’on ne voit que dans un espace public (la rue, l’école, etc.). Pour pouvoir dessiner le foyer d’un-e enfant noir-e, maghrébin-e, asiodescendant-e, faut-il encore savoir à quoi pourrait ressembler ce foyer, faut-il encore y avoir déjà été invité-e.
Ici, l’album est à la première personne, depuis le point de vue du Teru Teru Bozu, objet de tradition japonaise. Est-ce que l’album est juste concernant cette tradition ? Aucune idée. Comme pour les albums ethnographiques, cet album sert de leçon aux enfants qui ignoreraient tout de cette tradition. Contrairement aux albums ethnographiques, où un personnage d’enfant non blanc nous fait une leçon d’histoire géographie sur son pays, nous ne savons rien du contexte de l’album. Nous savons qu’il s’agit d’une tradition japonaise surtout par le paratexte. L’album en lui-même commence sur une double page où on peut repérer un revêtement en tatami et des peluches vaguement kawaï, mais c’est tout. Après ça, l’enfant est emporté dans un monde merveilleux. On le voit, lui, seul, au milieu de rien, entouré de Teru Teru Bozu.
Sans parler de l’exactitude de la recherche effectuée pour cet album, on peut dire qu’il est centré non pas sur le vécu, la réalité de cet enfant, mais sur une pratique culturelle à transmettre aux enfants français-es blanc-hes. Alors que ce garçon est censé être le personnage principal de son album, il en est complètement effacé.
Matt De la Peña & Christian Robinson (trad.), Milo s’imagine le monde, Québec, d’eux.
De Matt De la Peña et de Christian Robinson vous connaissez sûrement Terminus. Le duo revient avec le petit Milo. Pendant un trajet en train, le petit Milo (un petit garçon noir) observe son environnement et s’imagine la vie des autres usager-es : cet homme doit vivre seul, ses danseuses de rues doivent se faire suivre par la sécurité dans les magasins, cette femme en robe blanche doit être en chemin pour épouser son fiancé, ce garçon apprêté doit être un prince. Pour chaque récit inventé, on voit les pages du carnet de Milo. Comment lui, enfant, a représenté la vie des autres sous forme de dessins. Tout seul, il finit par se dire : “peut-être qu’on ne peut pas vraiment connaître quelqu’un juste à regarder son visage”. Nous avons donc une réflexion super intéressante sur l’action d’assigner une identité sur base de signes extérieurs, à hauteur d’enfants. Il décide de reprendre ses dessins, comme quoi c’est possible de reconnaître ses biais et de modifier son travail en fonction... L’homme a une famille, la mariée est lesbienne et les danseuses de rue vivent dans un belle immeuble avec portier. Le trajet arrive à sa fin, Milo et sa sœur vont rendre visite à leur maman, en prison. Milo lui montre les dessins faits dans le métro et un autre : elleux trois sur les marches de leur immeuble, la réalité qu’il souhaite, la réalité qu’il porte. A côté, on peut voir le petit garçon blanc apprêté. Loin d’être un prince, lui aussi vient rendre visite à sa maman.
Lisez et faîtes lire Matt De la Peña et Christian Robinson, traduisez les aussi, merci.
Atinuke & Angela Brooksbank (trad.), En route !, les Éditions des Éléphants.
Après Bébé va au marché, Bébé est bien caché et Bintou la casse-cou, nous avons En route ! Cette fois c’est toute une famille qui doit quitter sa maison, prendre la route à pieds, puis en bus, passer un village, pour arriver à la ville : Lagos. Pourquoi ? Pour vendre ! Une fois les paniers vides, on peut enfin rentrer, et être réunis (avec les grands-parents). Comme pour ses autres albums, il s’agit de récit ayant un contexte étranger, l’Afrique subsaharienne, sans stéréotypes, sans passer par le regard d’un personnage blanc, sans que les personnages donnent une leçon d’histoire géographie… Il s’agit simplement de personnes qui existent et vivent dans leur contexte. Pour la première fois dans les albums d’Atinuke, nous ne sommes pas dans un contexte rurale, et nous avons une localisation exacte : Lagos (Nigeria).
Miriam Tirado (trad.), Sensibles, Eyrolles.
Cet album de 56 pages est une leçon sur l’autisme. Le récit n’est qu’un prétexte pour expliquer en détail à des personnes valides “la” réalité des personnes autistes.
David Goudreault & Camille Lavoie, La belle petite monstre, Québec, d’eux.
Dans cet album nous avons une petite fille différente (atteinte de neurofibromatose) qui subit des violences du fait de cette différence, qui est sauvée par des garçons valides et qui fait une leçon sur sa différence. L’album se finit sur ce beau message : “parfois, la beauté est à l’intérieur”. La petite fille avec une tâche de naissance étant comparée à la “sorcière” du quartier, qui n’est en réalité qu’une femme âgée très gentille. Nous avons, encore une fois, un paratexte pour expliquer à l’enfant lecteur ce qu’est un neurofibromatose.
Est-ce une mauvaise représentation ? Disons qu’il ne s’agit pas d’un album où un personnage est simplement représenté. Il s’agit d’un album sur une condition, à destination d’enfants non concerné-es qu’il faudrait éduquer. Nous n’avons pas un album à présenter à un-e enfant atteint d’une condition où iel serait simplement représenté-e.
Jacob Grant (trad.), Pas juste !, Editions Père Fouettard.
Père et fils vont au marché, sans que ça soit un sujet. S’agit-il d’un père célibataire ? Est-ce qu’il y a un autre parent ? On ne sait pas. Le sujet c’est que Pablo en a marre. Il ne peut jamais acheter ce qui lui plaît, cuisiner, ni rien faire de marrant. C’est pas juste ! Son père lui répond : Pablo, j’ai la charge de tout ça, car je suis ton père.
A la fin de l’album, l’enfant obtient gain de cause : il a droit à son donuts. Mais seulement parce que les courses sont faites !
A noter, sur les 13 albums présentés dans cette newsletter, 10 sont des traductions. Sur les trois albums qui sont des créations, deux seulement sont français (La belle petite monstre est québécois)… Cela rejoint ce que j’ai montré dans mon mémoire puis dans le guide J’aimerais t’y voir, quand on s’intéresse aux représentations d’enfants non blancs, on se retrouve avec une quantité anormale de traductions. Alors que la production jeunesse relève à près de 90% de création, lorsqu’il s’agit d’enfants non blancs, il semblerait que les éditeurices soient incapable de produire elleux-mêmes ces représentations. Je me permets de m’auto-citer :
Est-ce que vous vous souvenez du pourcentage de la production de livres jeunesse qui relève de la traduction ? 12% ! Sur l’ensemble des albums jeunesse publiés entre 2010 et 2023 ayant au moins un personnage d’enfant non blanc, nous avons 256 créations françaises sur un ensemble de 418 albums, soit 39% de traductions. Entre 2010 et 2020 nous avons 139 créations françaises sur 216 albums, soit 36% de traductions. Entre 2021 et 2023 nous avons 117 créations françaises sur 202 albums, soit 42% de traductions. Si l’on prend uniquement les albums ayant un personnage d’enfant non blanc dans un contexte occidental sans que le sujet soit lié à des discriminations, on arrive à 49% de traductions pour la période 2010-2020, et 47% pour la période 2021-2023. Sur l’ensemble de la période 2010-2023 on arrive à 48% de traduction.
Sarah Ghelam, Où sont les personnages d’enfants non blancs en litérature jeunesse ? “J’aimerais t’y voir”, On ne compte pas pour du beurre, 2024.
Il se passe quoi ?
Le 14 mars, journée web des poéte.sses à Lyon (et pas en ligne).
Le 23 mars, on rencontre Sara Ahmed aux mots à la bouche.
Où m’écouter ?
Le 6 mars, à la Maison de la Recherche en Sciences Humaines (Caen), de 16h30 à 18h, dans le cadre de la semaine des féminismes organisée par Solidaires, Sud Education, Main Violette et Les Ateliers du genre.
Le 8 mars, au Cellier (Reims), à 14h, dans le cadre du festival Pop Women.
"Personnages racisés dans la pop culture" avec Grace Ly, Melody Ung & Marguerite Abouet, modéré par moi.Le 13 mars, à la librairie Violette and Co (Paris), à partir de 19h30, autour d'Où sont les personnages LGBTQI+ en littérature jeunesse ?
Le 22 mars, à la librairie l’Atelier (Paris), à partir de 19h30, autour d’Où sont les personnages non blancs en littérature jeunesse ?
Le 23 mars, à la librairie La Régulière, à partir de 11h, pour une lecture d'albums jeunesse pour toutes et tous.
Le 31 mars, au Pavillon des Canaux (Paris), de 16h30 à 18h, dans le cadre du festival Pop Meufs.
"Pour une éducation antisexiste et antiraciste : pédagogies émancipatrices et représentations positives pour la jeunesse" avec le Planning familial, les éditions On ne compte pas pour du beurre et Kiffer l’école, modéré par Sorocité.Le programme n’est pas encore sorti mais je devrais intervenir pendant le festival Slap (Montreuil)… Le programme sera disponible sur leur site internet, ce sera les 6 et 7 avril !
On lit quoi ?
Après Sociologie de la race co-écrit avec Claire Cosquer, Solène Brun publie Derrière le mythe métis, livre de sa thèse. Lisez le, lisez les tous les deux, lisez tout ce que Solène Brun a publié, obligez votre entourage à lire Solène Brun, demandez à vos bibliothèques de commander ses livres. Peut-être que si on lisait réellement les travaux français sur la race ils ne seraient pas aussi difficiles à mener.


La collection le mot est faible a enfin son titre sur le féminisme !
En 2023 nous avions eu La littérature embarquée et La Littérature engagée. En 2024 nous avons déjà trois parutions qui s’intéressent à l’imbrication entre littérature et politique : Littérature et révolution, Contre la littérature politique et Défaire voir : littérature et politique. Pour y voir plus clair vous pouvez picorer dans le dossier critique de Fabula dédié à ces parutions.



On écoute quoi ?
Dans le cadre de la promotion de son livre, Solène Brun a participé à l’émission “La Suite dans les idées” sur France Culture, en compagnie de Rébecca Chaillon. “Au prisme des tismés, les catégories raciales”, à rattraper ici.
La puce à l’oreille a mis en ligne l’ensemble des tables rondes de sa journée “Récrés sonores”. Vous pouvez les retrouver sur leur page YouTube. J’ai eu le plaisir de participer à celle sur la représentativité.
Le Lobby, émission LGBTQI+ de Radio Campus m’a invitée à parler de J’aimerais t’y voir. Pour écouter, c’est ici ! L’émission avait également invité On ne compte pas pour du beurre à ses débuts. Pour rattraper, c’est ici !
Sur l’internet
Le dernier numéro de la revue Strenae est disponible en ligne, il a pour sujet “La ville et l’enfant : images, récits, espaces” .
Côté fantasy, jeunesse mais pas que, la revue Fantasy Art and Studies a publié son dernier numéro sur les “Seuils et lieux de passage”.